L’épicerie
aux vertes ramures embaumait le ciel de senteurs océanes, les
kiosques débordaient de nouvelles belles et laides de sexe
indifférent, les rats mordaient, les ânes bréaient ; un
député courait après sa culotte, veste retournée, tandis qu’à
la porte de l’église une vieille nonne roulait une galoche à un
pote de régiment…
C’est
alors que l’évènement se produisit, violent, inattendu,
inévitable et terrifiant : Vasy entra dans la boulangerie !
Reboutonnant
vivement ses chaussettes, le boulanger réagit brusquement :
« Qui
êtes-vous? D’où venez-vous? Vous avez vos papiers ? »
Vasy
lui répondit sans se troubler :
« Je-suis-un-jeune-homme-bien-comme-il-faut-qui-travaille-dans-un-bureau-dans-le-respect-des-lois-et-de-son-employeur-et-tout-ça-et-tout-ça,
j’ai mes papiers et je voudrais un litre de lait. »
« Ah !
Mais c’est impossible, mon garçon ! » rétorqua le
boulanger, (qui n’était autre que le commissaire Ahrien)..
« Et
pourquoi, s’il vous plaît ? »
« Qu’est-ce
que vous faites exactement dans votre bureau ? »
Vasy
comprit le piège, mais il était trop tard pour reculer…
« Je
sème, je moissonne, je bats, je lie, je bois, je mange, je baise, je
dors… »
Le
commissaire Ahrien, (qui n’était autre que le boulanger), eut un
rictus méchant :
« Et
qu’utilisez-vous donc pour faire votre travail ? »
« Des
grains, des faux… »
« Ah !
Je vous tiens, mon gaillard ! Vous utilisez des faux ? »
« Ben,
oui, quelquefois… »
« Je
vous arrête pour usage de faux ! »
La
menace tomba comme un pavé dans une assiette de soupe !!
Vasy
sortit une bouteille consignée de sa poche, comme une bête
traquée :
« Vous
ne m’arrêterez pas ! »
Le
boulanger, (qui n’était autre que le commissaire Ahrien) avait
découvert le pot-aux-roses, le pot-au-feu, le pôle sud, le pôle
emploi et le pôle magnétique, mais il avait maintenant le sentiment
d’être le pot de terre contre le pot de fer. Il se jeta par-terre
à quatre pattes.
Étonné,
Vasy s’enquit : « Qu’est-ce que vous faites ? »
« J’ai
perdu mon sang-froid »
« Vos
fours sont si chauds, pas étonnant ! »
« Oh,
ce sont des petits fours »
« Vous
les vendez cher ? »
« Pas
plus que ça .»
« Donnez-m’en
dix .»
Vasy
sortit son paquet et lui derrière, la journée s’annonçait
belle..
Malheureusement,
l’inquiétude prit le pas sur la bonne humeur sur le pas de la
porte quand Vasy ramassa des lettres amassées sans l’être tant le
désordre était grand..
Il
décacheta la première enveloppe nerveusement, et, dépliant la
feuille de papier plus nerveusement encore, il commença à lire
entre les lignes avec difficulté tant c’était mal écrit,
(surtout entre les lignes) :
« Mon
ami amour amant à moi »
« Tu
ne te souviens pas de moi, ni moi de toi, je me souviens très bien
de t’avoir oublié. Pourtant, va savoir pourquoi, il y a comme un
vide au fond de moi, une sorte de trop plein, quoi... »
« Tu
vas rire quand je vais te dire que l’oubli du jour ne masque plus
le souvenir de la nuit. Hier, je n’ai pas dormi de la journée,
c’est la larme qui a fait déborder l'oeil. »
« C’est
le désespoir qui m’a fait t’apercevoir cette nuit dans mon
délire. Assise dans ma baignoire, je t’écris donc ces quelques
lignes entre les lignes de ta feuille d’impôts, espérant bien-sûr
que la mauvaise nouvelle de l’acompte provisionnel te semblera, par
ma tendresse, un peu plus belle. »
« Je
ne t’embrasse pas, j’ai du savon sur le nez.. Et puis ferme la
porte en sortant, tu ne voudrais pas que j'attrape froid ? »
« Ta
tienne en peine qui t’aime »
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Ouvrez le ban! Le banc du jour