mercredi 16 juin 2021

Maman se repose

 

Ne faites pas trop de bruit, maman se repose... Elle rêve ou se souvient, une enfant des années folles, la paix promise c’est quelque chose, l’avenir est éclairé, des artistes le composent, c’est un univers curieux et lettré qui le pose, elle grandit bien car l’inspiration l’arrose. Las, bien triste adolescence quand l’Europe explose, quand les éructations d’un fou à tous s’imposent, quand tout un peuple et sa culture vont sombrer dans sa névrose, de longues années avant que cette horreur se décompose. Sortir enfin de ce cauchemar en overdose, il faut chanter, il faut danser, penser à autre-chose, danseuse à l’Opéra, ça en impose, encore un rêve d’artiste, famille en osmose. Mais soudain un beau jeune homme se surimpose, Yves, élégant, fin, lui aussi danse, mais pas tout à fait la même chose, c’est l’émotion, l’élan profond et les joues roses, l’avenir se dessine enfin à deux, nouvelle histoire éclose. Quels hiers ! Vie de confort quand de tout on dispose, un grand appartement dans le seizième, deux premiers enfants en vélo dans les couloirs, les grands repas, la vie en rose.


Nous l’entourons mais elle n’entend pas, maman se repose... Tout s’enroule et se déroule en aventure, rebondissements et deutéroses, Yves est léger, généreux mais dépensier, l’abondance a porte close, deux autres enfants, déménagement et changent les choses, le mari malade, alors le travail morose, les galeries Lafayette, SAV, fini Berlioz, conjuguer comme beaucoup d’autres vie familiale et boulot en virtuose. Passe la vie, de loin en loin, les crises ou les rires explosent, violence, convivialité, tristesse, gaieté, la partition se compose, chanter de l’opéra en faisant la vaisselle, rien de s’y oppose, et c’est pour les enfants comme une leçon de chose, le goût de l’art, pour la beauté prendre fait et cause, en toute circonstance, sans crainte de surdose. Les enfants grandissent, le clan s’éparpille comme au vent pétales de rose, tous avec cette sensibilité qui quelquefois les ankylose, Yves a enfin vaincu ses addictions, mais rapidement la vie le dépose, doucement quand la nuit s’impose.

Elle n’est déjà plus là, maman rêve ou se souvient, c’est la même chose... Les années après Yves, Eric toujours près d’elle, et les autres enfants, des épaules sur lesquelles on se repose, et les petits enfants comme autant de fleurs écloses, dans le champ immense de son univers, en apothéose, c’est magique, malgré les difficultés, les douleurs et le handicap, la famille c’est comme un pays d’Oz... Mais les petits enfants un jour aussi s’envolent, difficile de s’accrocher à quelque chose.

Elle est têtue, un sale caractère, quoi que ce soit, elle refuse qu’on lui impose, et c’est comme ça qu’elle fait quelquefois ce qu’elle ne devrait pas, peut-être adepte de la gnose? Prête à partir en tous cas, l’esprit et l’âme en symbiose. Fin de la prose.

Sur son cercueil, nous avons posé quelques roses, il y aura près de ses cendres une plaque et des fleurs qu’on arrose, on reviendra se recueillir, le temps d’une pause, mais c’est surtout dans notre cœur que maman repose.

 


 Ouvrez le ban! Le banc du jour




 


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