lundi 25 septembre 2017

Un couple brun, un couple blond

Derrière la glace, les arbres se bousculaient, et je rêvassais en fixant mes mains, mes mains tenaient un livre, mais lire ne me disait rien.
Passaient les minutes et défilaient toujours les mêmes arbres du même vert, un vert passé, un vert banlieue, et défilaient toujours les mêmes rêves dans ma tête, les mêmes bruits.

Un ralentissement soudain me plaqua contre le dossier de la banquette jusqu'à l'arrêt.
Les portes s'ouvrirent et le froid s'engouffra aussitôt dans le wagon; le vent soufflait et des gens parlaient dans le vent, je les écoutais à l'autre bout du vent, banalités après banalités, mon moral descendait en flèche.

Les portes claquèrent et peu à peu la chaleur revint, m'apportant un bien-être dans lequel s'installa mon chagrin. Alors, levant la tête, je les remarquai, deux filles et deux garçons assis face à face sur des strapontins. Tous quatre avaient sur la tête un grand chapeau à la Garbo, tous quatre avaient sur le dos un manteau de mouton sur lequel déferlaient leurs longs cheveux comme en cascade.

J'oubliai ma peine et les regardais, intéressé, étonné aussi, un couple blond, un couple brun, était-ce le hasard?

Je mettais toute l'attention disponible au service de ma curiosité. J'observais, j'écoutais, mais ne saisissais que quelques bribes de conversation. 
L'une des deux filles, la blonde, parlait de la mort d'une façon étrange, pas même comme d'une expérience intéressante, elle la décrivait exactement comme si elle savait, comme on décrirait à un ami un hôtel dans lequel on aurait séjourné quelques temps.
Elle expliquait ainsi qu'elle n'aurait plus jamais ni peur, ni froid, plus envie de pleurer, plus envie de se battre, et à mesure qu'elle parlait mon coeur se serrait, mais non, c'était impossible, elle ne pouvait pas avoir raison!
Elle était jolie, tellement jolie, que j'attendais avec anxiété qu'elle parle un peu de la vie. 
La mort, dans sa bouche, m'effrayait bien plus que dans celle du plus hideux des monstres..
A mesure qu'elle parlait ses traits se durcissaient, elle semblait souffrir, et la souffrance elle-même l'embellissait encore..

Le paysage était toujours aussi gris, je ne le regardais plus, je le devinais derrière les mots, derrière cette jolie bouche qui traçait un portrait si terne de la vie en idéalisant la mort. Je ne regardais pas le paysage mais à chaque parole je le voyais plus triste.

Alors raisonna un autre son de cloche, et le dialogue s'engagea. L'auteur des arguments contraires était le garçon brun, d'où j'étais, je ne voyais pas son visage. A la mort, il répondit par la vie, à la lassitude par l'avidité, à la sobriété par l'ivresse. Il disait que la vie était courte et qu'il comptait bien en profiter au maximum.

Son collègue blond, qui jusque là n'était qu'un spectateur, lui demanda s'il croyait vraiment avoir eu déjà l'occasion d'en profiter.

Le garçon brun lui répondit avec beaucoup de conviction qu'il avait reçu comme cadeaux toutes les péripéties du quotidien, et qu'il buvait avec la même soif à la source de la vie cette eau qu'il estimait sacrée, qu'elle soit joie ou peine, bénéfique ou empoisonnée. Il conclut qu'il était prêt à tout, même à vivre n'importe comment pourvu que ce fut la vie.

Visiblement le garçon blond n'était intervenu que pour clarifier la position des deux antagonistes, la fille blonde et le garçon brun, il ne prenait pas parti et attendait maintenant la réponse que ferait sa voisine à ce réquisitoire en faveur de la vie.

La fille brune que je voyais de dos ne semblait pas du tout concernée par la conversation, elle avait le nez collé à la glace et ne se retournait que de temps en temps vers ses amis sans rien dire, ne s'inquiétant, apparemment, que de leur présence.

Quel était donc le quatrième son de cloche?

Je ne le saurai jamais car à ce moment mon esprit s'envola, je rêvai une histoire, un film se déroulait dans ma tête et je voyais vivre, sans les connaître, comme un espion, deux filles et deux garçons, un couple brun, un couple blond...

Ouvrez le ban: Le banc du jour

    

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